Prendre ou ne pas prendre.... la bonne décision ? L'interview des auteurs

A l'occasion de la sortie du livre de Jean Magne et de Jacques Pignault, Prendre la bonne décision. Anticiper et réduire les risques, Boleine a souhaité poser quelques questions aux auteurs.

Jacques Pignault est ingénieur (ENSEEIHT, INSTN-GA) et docteur ès sciences, expert en gestion des risques et facteur humain. Il oeuvre pour l'instauration d'une culture de sécurité et de sûreté au sein des organisations.

Jean Magne est ingénieur de l'Ecole Navale et titulaire d'un Executive MBA de Paris Dauphine. Ancien commandant de sous-marins, il effectue des missions de conseil en sûreté, sécurité et maîtrise des risques.

1/ Dans un monde où la responsabilité est à la fois prépondérante et retirée, comment s'y retrouver ? Qu'est-ce que la responsabilité finalement ?

Jean Magne : Le simulacre de la responsabilité se situe dans le processus complètement défini et les réactions déjà programmées. Ne peut être considéré comme responsable celui qui ne fait qu'appliquer les règles, si ce n'est justement dans sa bonne volonté à les appliquer en ayant compris pourquoi il les applique (d'où la formation, la compétence et le discernement). La vraie responsabilité se situe dans le choix auquel je suis confronté dans une situation ambigüe : de ma réaction (réfléchie ou émotionnelle) ou de mon absence de réaction (par maîtrise de soi ou par crainte) peuvent découler des conséquences (bénéfiques ou préoccupantes) pour la situation complexe en évolution. L'humilité (reconnaître ses erreurs, appeler à l'aide) est sans doute propice au succès, l'orgueil (ignorer ses erreurs, choisir seul, mettre en cause les autres) est dans doute propice à l'échec.

Jacques Pignault : Finalement, pour nous, exercer une responsabilité, c’est choisir parmi différentes possibilités celle qui va permettre d’aboutir aux résultats le plus proche d’une situation finale idéale pour ses mandats.

2/ Autre paradoxe : la prise de risque et la juridicisation du monde. Comment peut-on encore entreprendre (et donc forcément prendre des risques) sans se heurter à des contraintes juridiques de responsabilité, etc. ?

J.M : Si on regarde bien, chaque décision que l'on prend, voire chaque refus de décider, pourrait en soi entraîner un procès. Nous aimerions encourager les lecteurs à faire des choix issus d'une réflexion lucide sur les avantages de ce choix et les difficultés à les surmonter. On devra donc s'appuyer sur ses compétences, sa légitimité à faire ce choix, sur les moyens à disposition ou à acquérir et il faudra s'interroger sur sa volonté à aller jusqu'au bout de ce choix, tant individuellement qu'en équipe. Une responsabilité ne se partage pas, mais il n'est pas interdit, bien au contraire, de s'entourer et de prendre conseil. Et la loi doit être vue comme un guide et non un carcan, sinon, on n'entreprend plus rien.

J.P : Les législations, règlementations et normalisations constituent en effet des garde-fous à ne pas franchir, et ils sont nombreux ! Durant les phases de préparations des actions à entreprendre, il y a lieu d’identifier précisément les indicateurs (signaux faibles) représentatifs d’un début de franchissement afin d’opérer au plus vite les actions correctrices des dérives répréhensibles.   

3/ Quels sont les dangers d’une responsabilité limitée / compartimentée ?

J.M : En fait, la responsabilité est nécessairement limitée par le périmètre des tâches que l'on a à accomplir et par les moyens dont on dispose. Mais également, nous devons nous-même limiter nos décisions à ce périmètre et ne pas outrepasser nos limites. Cependant, force est de constater que ce périmètre déborde nécessairement sur d'autres domaines de responsabilité et que mes décisions ont forcément des conséquences sur d'autres entités. Par conséquent, compartimenter me paraît être une erreur, se coordonner avec les autres décideurs me paraît être plus sain. Le responsable suprême, lui, ne doit pas mettre de limites à sa responsabilité puisqu'il doit trancher pour permettre une bonne coordination entre décideurs intermédiaires "limités".

J.P : Les points sensibles sont les interfaces, quels qu’ils soient. Les documents de délégations doivent s’attacher, en plus du domaine concerné, à détailler les flux d’échange et leurs sens (ordre, compte-rendu, mise au courant…) avec tous les autres décideurs liés (subordonnés, collatéraux, supérieurs).

J.M : Ainsi, le principal danger est le désordre et l'échec du projet. Un bon exemple se situe dans les compartimentages observés au sein des gouvernements européens à la veille de la Première Guerre Mondiale : des actions contradictoires dues à des appréciations différentes de la situation ont entraîné des souverains malgré eux dans la déclaration de guerre.

4/ Qu’est-ce que ce livre peut apporter à tout un chacun dans son quotidien ? Quels sont les aspects que vous mettriez en avant pour aider chacun à se prendre en main (à prendre ses responsabilités) ?

J.M : Ce livre veut apporter d'abord des exemples suscitant la réflexion du lecteur et une prise de conscience du fait que ses décisions, ou absences de décisions, peuvent contribuer à la dégradation d'une situation complexe. La grille de réflexion proposée se veut une aide au diagnostic de l'état de son organisation, voire, sur sa propre capacité (qualités et axes d'amélioration) à assumer des responsabilités. Il n'est jamais honteux, avant de décider, de demander l'avis de ses collaborateurs : cela permet de co-construire une décision qui, parce que partagée, aura de bien meilleures chances de succès.

J.P : Dans le cas de décisions récurrentes, l’utilisation périodique de la grille de réflexion proposée peut aider son utilisateur à identifier des dérives voire des ruptures d’environnement affectant les chances de succès et nécessitant donc des réajustements.