Comment définir la nature humaine ?

Pour Pierre Manent, la liberté d’aujourd’hui se définirait plutôt comme une autonomie, une inclination commune à vouloir se donner sa propre loi. Mais en vertu de quoi ? Cette autonomie est souvent prônée en vertu de la nature humaine. Le philosophe soulève alors un paradoxe : cette nature humaine, qui justifierait une autonomie complète, pourtant nous limite en ceci qu’elle nous donne une définition. Or nous considérons aujourd’hui la loi naturelle comme totale liberté. Dans le champ politique, social et éthique, cela se traduit par une “neutralité” de la loi, qui ne peut commander rien d’autre si ce n’est la liberté de l’individu. Cette loi décompose les règles des sociétés, vues comme restrictives, “elle ne connaît et reconnaît que l’individu réduit à son corps propre” (cf. Pourquoi la loi naturelle ?) : il ne reste que des individus distincts dont les rapports sont régis par un principe fondamental : le consentement, qui préserve la liberté de l’autre, valeur suprême.

Pour don Jean-Rémi Lanavère, le paradoxe se situe dans le statut de la loi naturelle, de la nature, à la fois tabou et bien précieux. Cela est visible dans les débats concernant l’environnement où la nature est remise en avant, préférée même à l’homme.

Sommes-nous seulement des êtres de culture ?

Selon Pierre Manent, il est important de distinguer l’éducation de la fabrication. L'éducation consiste à perfectionner ce qui est déjà présent car la culture a besoin d’une base pour agir. Don Jean-Rémi Lanavère estime en effet que la nature et la culture sont corrélatifs et ne peuvent être pensés l’un sans l’autre. C’est une réflexion qu’il nourrit dans son ouvrage Loi naturelle et politique chez saint Thomas d’Aquin (Vrin, 2024). Toutefois, les intervenants remarquent que la liberté s’éprouve aujourd’hui dans la suspension de la nature humaine. 

Les droits de l’homme symbolisent-ils cette nature humaine ?

Selon don Jean-Rémi Lanavère, l’homme éprouve sa vitalité dans l’action, sans que toute action ne soit totalement choisie car elle s’appuie sur un fond de réalité donné, qui se trouve être l’essence. Dans la pensée actuelle, insiste Pierre Manent, la liberté n’est pas une capacité de choix comme on pourrait le penser mais une capacité d’arrachement, d’arrachement à notre essence. Pourtant, les deux intervenants rappellent que la liberté est d’abord la liberté d’accomplissement de notre humanité, toute action tendant originellement vers un bien. La liberté a pris un autre sens lorsque l’homme a détaché l’action de la responsabilité qui incombe de facto à l’homme agissant. En effet, aujourd’hui l’homme n’est plus agissant. Nos deux intervenants le voient particulièrement dans l’exemple d’une jeunesse contemporaine moins stimulée. Si l’action n’est plus conçue comme champ d’action de la liberté, cette dernière est alors conçue indépendamment de toute responsabilité : la liberté, et son fidèle serviteur la loi, ne disent rien de l’action, du choix incarné. Les droits de l’homme traduisent d’ailleurs cette vision de la nature universelle de l’homme, qui doit s’épanouir dans le champ du possible et non de l’action. C’est déjà ce que disait Tocqueville lorsqu’il évoquait l’ambition démocratique d’étendre une vision unifiée de l’homme sur le monde.

S’agit-il de réduire l’homme à un simple individu ?

Pour don Jean-Rémi Lanavère, cette négation de la nature humaine déshumanise l’homme, devenu interchangeable avec tout être quel qu’il soit. En outre, la négation de toute transcendance conduit fatalement au rejet du sacré. Nos intervenants prennent l’exemple de l’euthanasie pour illustrer le fait que l’homme ne supporte plus de vivre sous l’autorité de l’obligation. Cela suppose un arrachement à ce qui l’entoure. L’euthanasie montre déjà un détachement progressif de l’autre et de ce qu’il ressent face à cette demande formulée, détachement propre au système actuel de l’assistance.

Comment nos intervenants ont-ils personnellement pu éprouver la nature humaine ?

Aziliz Le Corre l’éprouve dans la maternité. Son livre, L’enfant est l’avenir de l’homme (Albin Michel, 2024), rappelle aux jeunes femmes d’aujourd’hui combien cette expérience de vie révèle l’incomparable potentialité de leur corps et de leur nature.

Don Jean-Rémi Lanavère, lui, retrouve la nature humaine dans la réflexion, capacité propre à l’homme, qui lui apporte autant de bonheur que de peines, à la différence d’autres modes d'existence comme celui, plus contemplatif, de la vache…

Pierre Manent, lui, rappelle que la nature humaine est présente en chacun de nous. Il éprouve cette nature humaine à chaque rencontre car c’est elle qui explique l’homme. 

L. Ruat 

Editions Boleine