3 questions à... Grégoire Belmont

Pourquoi lancer une Revue de Philosophie du Droit ?

L’apprenti juriste qui termine ses études en France a peut-être le sentiment que le juste se confond avec le légal, que le droit est une froide abstraction, un ordre clos sur lui-même. La pratique du métier d’avocat aura vite fait de le détromper.

Dans le secret de son cabinet, l’avocat est confronté chaque jour au mystère de la demande de justice : le justiciable se plaint d’un préjudice concret, d’un désordre qu’il ressent mais ne sait pas toujours nommer, et qu’il demande à son conseil d’identifier et de formuler pour lui. L’avocat va ensuite utiliser les lois comme instruments pour faire advenir le juste : il ne sera, in fine, pas jugé sur sa connaissance du droit, mais sur sa capacité à rétablir le juste grâce aux lois positives. Dès lors, il doit éduquer son regard, pour discerner l’ordre sous-jacent dans la Cité, et mettre son art à son service.

L’avocat est un rhéteur : ses discours ne sont pas des composés de syllogismes, mais ils se nourrissent d’arguments d’analogie, de conséquence, de définition, puisés dans la vie réelle. Il doit toujours convaincre le juge que non seulement sa cause est légale, mais qu’elle est équitable. En droit, deux et deux font souvent cinq : l’ordre s’adapte aux circonstances, et c’est heureux sur le principe.

Cette revue donnera donc aux juristes de toutes profession l’occasion de réfléchir sur la finalité de leur métier, afin que le droit devienne l’art du bon et de l’équitable.

De quoi traitera cette revue bi-annuelle ? Quelle est son ambition ?

La philosophie s’intéresse aux premières causes et aux premiers principes, c’est entendu. Nous y traiterons donc bien sûr les grandes questions qui suscitent depuis toujours l’étonnement du juriste : l’existence d’une justice, d’une nature, la relativité ou le caractère absolu de la loi. Mais ensuite, comme la question du juste est universelle, nous aurons l’occasion de nous interroger sur tous les domaines de la vie en société : la responsabilité, le principe de précaution, la guerre, en tentant à chaque fois d’adopter une saine hauteur de vue. Bien sûr, ces réflexions pourront nous conduire à critiquer le droit positif, car notre ambition est d’encourager l’intelligence critique du droit, sa remise en question permanente.

Notre méthode sera, autant que possible, celle du débat, qui est la voie de la connaissance juridique. Comme le dit Pascal, « L’erreur n’est pas le contraire de la vérité, mais l’oubli de la vérité contraire ». Nous savons qu’en droit les réponses sont toujours nuancées, provisoires, et que la jurisprudence ne s’acquiert pas de quelques traits de plume. 

 

La philosophie du droit peut-elle « parler » à chacun ? Doit-on être un spécialiste pour s’intéresser aux sujets traités ?

À part Dieu, il n’y a rien de plus universel que la justice. Quand nous étions enfants, nous avions déjà un sens très vif de la justice distributive, en comparant nos assiettes et nos punitions. Jacques Trémolet de Villers me racontait l’histoire d’un de ses clients braqueur, qui lui déconseillait un restaurant parce que « C’étaient des voleurs ». Si quelques-uns commettent l’injustice, tous refusent de la subir, et il y a peu de valeur plus consensuelle en politique.

Toute Révolution tire sa raison d’être d’une injustice. La gauche a de cette notion une vision extensive (on parle de l’injustice de la différence entre les classes, les sexes, les nations, les coupes de cheveux, et parfois de l’injustice spéciste) ; la droite en a une vision plus réduite (on y parle d’insécurité, de transmission de l’héritage) mais personne ne se désintéresse de cette question, surtout en France. Je souhaite donc ardemment que cette revue soit lue aussi par des non-juristes.